On pourrait presque penser que c’est le dernier sujet du Bac philo. Mais non. Il s’agit simplement d’une question qu’on se posait et dont la réponse semble si évidente lorsqu’on quitte l’exposition de Yu-Ichi Inoue. Rendez-vous à la Maison de la Culture du Japon à Paris pour apprécier la première rétrospective en France de l’oeuvre du calligraphe japonais. A vos pinceaux !
L’art de bien écrire, une passion dévorante
Calligraphie signifie « belle écriture » en grec, et en effet c’est l’art de bien former les lettres. Donc aucun doute sur le fait que cette discipline est un art, mais quand on sait qu’écrire c’est communiquer, où est la modernité ? L’homme écrit depuis des siècles dans les grottes, les pyramides, les temples, etc… et ce sur tous les territoires qu’ils soient oriental, occidental ou asiatique. D’ailleurs en Asie ces signes à la fois si jolis et si étranges participent au mystère qui entoure notamment l’Empire du soleil levant que Yu-Ichi Inoue réussit à rendre plus accessible dès les années 50. Normal vous me direz car c’était son métier : instituteur. Il savait donc transmettre, expliquer, diffuser, illustrer, et raconter. Mais cette passion de la calligraphie le rongeait de l’intérieur de telle sorte que pratiquement tout son salaire de professeur servait à acheter les encres, les pinceaux et les papiers japonais très coûteux, ne laissant que peu de moyens à son couple pour vivre au quotidien. Un art devenu obsession et qui lui mangeait tout son temps libre jusqu’à ce qu’il soit satisfait d’un angle d’inclinaison, d’une pression exercée sur son pinceau, des espacements et des largeurs. Son art tourmenté était devenu vital au point qu’il déclara : « Vivre chaque jour comme si on traçait son ultime trait de pinceau« .
La calligraphie libérée, un moyen d’expression
A partir des années 60-70 Yu-Ichi Inoue expérimente de nouvelles techniques en essayant de nouvelles encres et en dessinant des caractères sortant du cadre, des initiatives résolument modernes qui participent à libérer l’art de l’écriture de ses carcans classiques. On aime tout particulièrement l’encre noire profonde avec ces tâches et éclaboussures qui traduisent l’urgence de la création de l’artiste. Sans oublier les dimensions impressionnantes. Yu-Ichi Inoue calligraphie d’ailleurs des contes pour enfant dont l’un, vraiment monumental, mesure quatorze mètres de long, du jamais vu. Ses idéogrammes géants l’obligent à écrire debout à la force des bras penché sur le papier qu’il piétine. Commence alors une chorégraphie du calligraphie qui danse autour de son oeuvre à naître. Etonnant.
En 1878 il dénonce la guerre de 1945 et le bombardement de l’école où il enseignait dans le bouleversant Ah l’école primaire de Yokokawa (1978) : « Les bombardements nocturnes des B-29 américains sur Tokyo ont transformé instantanément la capitale jusque là plongée dans les ténèbres nocturnes en océan de feu, plongeant la rive Est de la ville dans un enfer dévoré par les flammes. L’école primaire de Yokokawa, dans l’arrondissement de Honjo, accueillit plus de mille personnes venues s’y réfugier. Encerclés par les flammes, hommes, femmes, jeunes et vieux, tous restèrent sans voix et n’avaient même plus la force de s’échapper. Les flammes étaient si vives que l’on se serait cru en plein jour. Les fenêtres à armatures métalliques se brisèrent alors toutes en même temps. Soudain dans un fracas assourdissant, les flammes envahirent le bâtiment et piégèrent le millier de réfugiés qui, sans pouvoir fuir nulle part, se retrouvèrent enfermés comme dans un coffre-fort. Les parents étreignaient leurs enfants chéris, et ces derniers collés à leurs parents, criaient « papa », « maman ». Mais ils avaient beau les appeler en les agrippant, ils n’obtenaient comme réponse que des gémissements. Entassés dans les salles de classe et la cour de l’école ces mille et quelques personnes, venues ici se réfugier ont toutes sans exception péri dans les flammes. Au petit matin, le feu ayant fini de se consumer, le site comme plongé dans une paisible léthargie n’était plus que décombres. Les mille réfugiés morts dans l’incendie formaient autant de masses compactes semblables à de gros morceaux de charbon. L’horreur était à son comble » (…)
Dans le même esprit, Yu-Ichi Inoue dénonce aussi dans sa calligraphie, entre 1978 et 1981, la course à l’argent et aux profits comme une quête du Graal qui appauvrit les esprits, ronge notre quotidien, contamine les peuples, déshumanise l’homme et détruit Mère Nature. Et quelle tristesse finalement de réaliser que ces thèmes capitaliste et belliqueux sont encore bel et bien d’actualité. La calligraphie, un art résolument libéré et contemporain utilisé comme un moyen, un outil d’expression libre qui permet à l’artiste de s’insurger, protester, et dénoncer. Nous sommes mis en garde, à nous de réagir !!
Croissance économique,
Augmentation de la consommation,
Autoroutes gigantesques,
Désirs insatiables,
Destruction de la nature, Pollution
de l’environnement, Folies sans
contrôle, Effondrement de la nation.
Poème de Yu-Ichi Inoue, 1978
Augmentation des profits, Folies
sans contrôle, Croissance
économique, Exploitation du
territoire,
Destruction de l’environnement,
Perturbations écologiques,
Pollution de l’air, Pollution des
eaux et des sols,
Surmédicamentation du bétail,
Idem pour les poissons, Légumes
hors saison, Surtraitement
chimique des sols agricoles,
Pondeuses automatiques,
Aliments tous fades et insipides,
Utilisation abusive de sucre
artificiel, Engouement pour les
arômes sucrés, Même les
humains sont doucereux,
Insensibilité et apathie (…).
Poème de Yu-Ichi Inoue, 1978
Yu-Ichi Inoue, 1916-1985, la calligraphie libérée
Maison de la Culture du Japon
101 bis, quai Branly
75015 Paris
Tel. 01 44 37 95 95 / 00 / 01
La calligraphie vous tente ? Vous avez envie d’essayer ? A la rentrée participez aux ateliers de calligraphie japonaise avec un professeur pour apprendre, en quatre séances, à préparer l’encre, manier les pinceaux et former les signes.