Parfois, il est des découvertes insolites qui le sont davantage car elles sont des rencontres imprévues. Alors que je circule en voiture à Paris, je me trompe de route et dois revenir sur mes pas à la hauteur d’Alesia. Rue Boulard je remarque une voiture dont le coffre ouvert laisse à voir une cargaison de livres empilés, forcément la marchandise d’un antiquaire ou d’un libraire du quartier. Que n’avais-je pas dit! A deux mètres devant la voiture, une librairie incroyable à la devanture bien défraîchie me scotche sur place. Qu’est-ce c’est que ça?? Comment fait-on pour y entrer? Quel est le propriétaire de cette caverne? Combien de livres a-t-il amassés?
Là, juste derrière la vitrine, des monticules de livres prennent toute la place au point qu’on ne peut même pas entrer dans la boutique. Seulement un mince espace de soixante centimètres de large trace un couloir étroit comme un passage secret. Tout autour de ce chemin, des piles et des piles de livres s’amoncèlent du sol au plafond sur une surface incalculable. Et sur le trottoir un monsieur, cheveux blancs, chemise bleue et veste en velours dispose tranquillement des livres dans des caisses en bois. Je m’adresse à lui:
– Bonjour Monsieur, vous êtes le propriétaire de la boutique?
– Oui c’est moi.
Le ton est aimable mais sérieux.
– Mais dites moi, c’est une vraie caverne d’Ali Baba!
– Non non c’est une librairie.
Il semble à peine étonné de ma stupéfaction. Je ne dois pas être la première.
– C’est incroyable, je n’avais jamais vu cela. Mais comment fait-on si jamais je veux voir un livre du milieu de la boutique?
– Ah oui ça risque d’être un peu compliqué.
Il semble amusé de la discussion et répond avec un flegme énigmatique.
– Mais alors vous ne savez même plus ce que vous avez comme livres…?
– Si si je sais.
– Oh la la c’est incroyable toutes ces piles. Et la boutique est profonde… dis-je en m’enfonçant dans le fond de la tranchée qui bientôt tourne à droite pour s’enfoncer dans un espace sombre où la lumière ne peut même plus accéder.
– Faites attention au fond, ça peut être dangereux!
– Mais combien de livres avez-vous? dis-je en revenant sur mes pas tout en surveillant qu’une avalanche ne se déclenche pas.
– Rffff, environ trente mille ici, mais j’en ai encore plein d’autres ailleurs.
– Ah oui? Vous avez un garage ou des dépôts pour les entreposer?
– Oui oui des endroits secrets, dit-il avec un humour mystérieux.
– Mais pourquoi ne pas déménager dans une plus grande librairie?
– Bah vous avez vu le prix du mètre carré à Paris aujourd’hui? C’est impossible.
– Oui c’est sûr… dis-je en apercevant dans la vitrine (troisième pile tout en dessous) un livre d’art intéressant. Alors moi je suis intéressée par le « Picasso érotique ». Comment fait-on pour l’atteindre? Je reviens dans 2 jours le temps que vous déplaciez les premières piles pour l’attraper?
– Non non, je dois en avoir un deuxième quelque part… dit-il avec la plus grande sérénité.
– Ah oui parce que vous avez plusieurs exemplaires de vos livres?
– Oui certains en deux ou trois exemplaires ; seulement les livres qui sont intéressants.
J’observe ce lieu complètement atypique, sorti tout droit d’un rêve loufoque ou d’un dessin animé tel « Alice au pays des merveilles ». Et puis j’observe aussi ce personnage. Je me dis qu’il est vraiment marginal, impénétrable, complètement insolite. Le genre de grand-père farfelu qui doit être passionné et qui a un syndrome grave, celui de ne rien vouloir jeter, au point d’avoir gardé tous les livres de sa vie.
– Vous avez une carte, Monsieur?
– Oui oui je vous donne ça.
Il se dirige dans son entre et attrape sur une étagère faite de livres, une carte de visite.
– Voilà ma carte. Voyez, c’est une librairie spécialisée en art.
Alors j’observe ce bout de papier et je lis un nom.
– C’est vous Jacques Léobold?
– C’est moi. Mais on m’appelle Léo, dit-il comme un artiste qui annoncerait fièrement son nom de scène.
Tout est dit.
Librairie Alias
21, rue Boulard
75014 Paris
Tel. 01 43 21 29 82
Certes, un personnage attachant mais imperturbable, celui qui vit sa vie, enfin….. sa passion !
J’aimeJ’aime
Très bel article, c’est bien écrit, j’aime beaucoup 😉
J’aimeJ’aime
Merci, c’est gentil!
J’aimeJ’aime
Bonjour Barbara, j’hesite de vous dire que Léo est mort il y a une semaine. Je prepare un petit article sur lui… possible de me joindre par e mail? Merci, Matthew Rose 75014
J’aimeJ’aime
Bonjour Matthew, quelle tristesse! Comment l’avez-vous appris? Léo était un personnage du quartier et sa librairie bordélique et pleine de trésors était vraiment unique. J’imagine que vous souhaitez lui rendre hommage… alors n’hésitez pas à me contacter à barbaravousenditplus@gmail.com
J’aimeJ’aime
Loved reading thiss thank you
J’aimeJ’aime