Cette enveloppe qui nous sert de corps

Non ce n’est pas un article sur un thème de biologie…quoique ! A l’occasion de mes lectures, je tenais à vous présenter un livre atypique que j’ai découvert cet été : Journal d’un corps. Oui c’est le titre qui m’a d’abord interpellée  puis le résumé en quatrième page de couverture a fait le reste. Mon coup de foudre du premier coup d’œil s’est facilement confirmé par un vrai coup de cœur en tournant les pages, car Daniel Pennac nous raconte une expérience intime, celle de vivre dans le corps d’un homme. Tout simplement magistral.Bien que j’assume parfaitement ma féminité (pour rien au monde je ne me passerais de mes talons hauts, de mon vernis à ongles… et de l’idée de devenir maman), j’ai toujours déclaré que si la réincarnation existe et que l’opportunité de revenir sur Terre m’est offerte un jour, je veux être un homme. Ça  c’est dit ! Oui, parce que bien que je ne sois pas dans une société patriarcale où la culture est sexiste, vivre dans le corps d’une femme reste vraiment une épreuve. Alors je vous vois venir Messieurs à nous répondre que vous êtes de corvée tous les matins avec votre barbe, mais c’est « pipi de chat » à côté des contraintes corporelles que nous devons endurer tout au long de notre vie !

Pour en revenir au sujet qui nous intéresse (je ferai la plaidoirie des femmes un autre jour) : le jour de l’enterrement de son père, Lison, une amie de Daniel Pennac reçoit de la part du notaire le journal que son père a tenu sur son corps durant toute sa vie de 13 à 87 ans. Avec l’aide et le talent de Pennac, elle décide de le publier. Loin d’être un livre instructif sur le fonctionnement du corps masculin, ce livre est une leçon didactique sur les impressions, les effets, les surprises, les intuitions et les sentiments des « mâles » dans leur corps. L’auteur du journal écrit : « Nous sommes jusqu’au bout l’enfant de notre corps ». Et Pennac lève le voile. Grâce à ces mémoires intimes, il parvient à nous livrer quelques unes des sensations ressenties lorsqu’un Humain possède des chromosomes de type distinct X et Y. Est-ce que tout le secret réside alors dans cette fantaisie de l’ADN… ? Pas exactement finalement car chacun pourra se reconnaître en fonction des sujets, et bien au-delà de la barrière du sexe, car il existe vraiment des similitudes avec les femmes.

Les thèmes du livre sont variés et souvent très cocasses. On nous parle de démangeaisons, masturbation, peur, saignement, rasage, vieillissement, douleur, indigestion, testicules, sommeil… On en rit beaucoup car parfois on se reconnaît dans une situation, ou on se dit qu’on a déjà ressenti ou pensé la même chose. Mais parfois aussi avec les thèmes calvitie, érection, crasse, défécation, salive, gastroscopie, ou poils… il y a de quoi avoir du dégoût parce que les détails sont vraiment explicites, sans tabou. Pas grave. On lit vite et on tourne la page !

Par ailleurs, la galerie de personnages du livre est intéressante : qu’ils soient terribles comme cette mère autoritaire et cinglante, affectueux et bienveillants comme Violette la nounou, ou complices et attachants comme les amis, ces caractères semblent réellement authentiques. On les dirait les témoins du constat médical réalisé.  Sans oublier sa fille chérie Lison à laquelle il s’adresse via des petites notes disséminées dans le récit pour lui donner des explications comme le ferait un narrateur omniscient. C’est vraiment attendrissant. Et puis dans l’avancée de sa vie le lecteur devient spectateur des étapes clés de la famille : mariage, naissances…

Journal d’un corps est définitivement un livre nouveau, anticonformiste, frais et original qu’il faut absolument lire simplement parce que l’intimité humaine est universelle. L’exercice stylistique sur un sujet si profond n’est à priori pas du tout évident, et pourtant quelle fluidité dans l’écriture de tous ces bobos du corps ! En effet, Pennac s’intéresse précisément à ce que la bienséance préconise de taire habituellement, et il excelle. Pas le moindre orifice, appendice ou la moindre sécrétion ou émanation qui n’ait été oublié dans cette expérience littéraire. C’est comme s’il s’agissait du monologue impudique du corps masculin. Et c’est d’autant plus surprenant quand on pense que dans nos sociétés modernes où le corps est montré et dénudé sans cesse, plus on l’exhibe et moins il existe, ici au contraire il retrouve du sens et toute sa valeur. Il est certes désacralisé mais il est normalisé. Il est question de vérité et on se sent plus que jamais HUMAIN, « seul comme l’homme » mais soi comme tous les autres.

Journal d’un corps, Daniel Pennac, Ed. Gallimard, 2012

Allez, pour les plus curieux voici un court extrait :

13 ans, 3 mois, 1 jour                                                                                Lundi 11 janvier 1937

Il y a trois façons de pisser chez les garçons : 1) Assis. 2) Debout sans rouler sa chaussette. 3) Debout en la roulant. (La chaussette c’est le prépuce. Confirmé par le dictionnaire.) Quand tu la roules, tu pisses beaucoup plus loin. Il est tout de même incroyable que maman n’ait pas appris ça à Dodo ! D’un autre côté, n’est-ce pas instinctif ? Si oui, pourquoi Dodo ne l’a-t-il pas découvert tout seul ? Qu’en serait-il de moi si Violette ne m’avait pas montré le truc ? Est-il possible que des hommes arrosent leurs pieds toute leur vie parce qu’ils n’ont jamais eu l’idée de rouler leur chaussette ? Je me suis posé la question toute la journée en écoutant mes professeurs parler : Lhuillier, Pierral, Auchard. Ces choses innombrables qu’ils savent sur la « marche du monde » (comme dirait maman) sans peut-être avoir jamais eu l’idée de rouleur leur chaussette ! Monsieur Lhuillier, par exemple, avec son air de vouloir tout apprendre à tout le monde, je suis sûr qu’il se pisse sur les pieds et se demande pourquoi.

Flash Actus du 11 novembre :

Après ma lecture du Journal d’un corps, j’ai assistée vendredi soir à sa lecture, en direct, par le maître. Sur scène, Daniel Pennac nous lit quelques extraits choisis et c’est un moment vraiment incroyable. « Le livre se suffit à lui-même » disais-je, mais là la scène apporte tous les petits (ou grands) « plus » du théâtre. Tout d’abord en entrant on remarque que les Bouffes du Nord est un écrin historique, hors du temps. Ce lieu est empli d’un charme impalpable et le cachet de l’espace annonce immédiatement la tonalité du moment à vivre. Ensuite, la mise en scène est poétique : pour seul décor une table où pousse un gazon magique, une chaise d’écolier, un tabouret et un grand espace vide que les mots vont bientôt combler. Puis quelques notes de musique par ci, un éclairage profond par là, quelques lignes manuscrites qui s’animent sur ce mur, enfin. Pendant une heure, Pennac excelle dans l’exercice de la lecture : ses intonations, ses gestes délicats, ses longs silences aussi qui nous invitent à méditer sont justes et on se laisse transporter par le pouvoir envoutant des mots. L’émotion est très intense et le texte me surprend pour la seconde fois. Alors je me demande comment certaines personnes ne peuvent-elles pas être touchées par la littérature… ? Ça reste un mystère pour moi.

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3 thoughts on “Cette enveloppe qui nous sert de corps

  1. Super, c’est typiquement le genre de lecture que j’adore! (et qui me vaut les remarques de mes proches « tu lis vraiment des trucs chelous toi « !, pas toi? lol). Est-ce un livre récent? Merci, à nouveau tu l’as décrit merveilleusement bien. Ma liste s’allonge Bab…..ma liste s’allonge…. !!

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  2. … page 87 / 382 : je me trouve actuellement au milieu de ce magma humain… Je m’attendais à un traitement littéraire plus « anatomique », cependant je continue mon exploration car je reste intriguée…

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